Sommet de l'Éducation : « six mois de lutte pour ça »

24 Février 2013


Québec - À la veille du Sommet sur l'enseignement supérieur, qui se tiendra les 25 et 26 février prochains, le Journal International a interrogé les principaux leaders des organisations étudiantes québécoises. Martine Desjardins (FEUQ) et Blandine Parchemal (ASSÉ) nous éclairent sur les enjeux du Sommet, déjà mal engagé. Analyse.


« Paix et Chaos » - Manifestation Plan Nord 20 avril 2012 - Pascal Dumont - Le Grand Souffle





Il y a un an - Au fil des semaines, la grève du printemps 2012 se métamorphosera en un véritable mouvement social, l’élan allant bien au-delà de la sphère étudiante. Il a en effet touché toutes les générations et toutes les couches de la population québécoise. Les Québécois étaient désengagés du monde politique et de la chose publique depuis des années, et pourtant ils se sont fédérés par milliers contre la hausse des droits de scolarité qui fut le déclencheur et le catalyseur de l’ensemble de l’œuvre du gouvernement Charest et de sa loi 78 - la loi d'exception ayant eu pour conséquence de circonscrire le droit de manifester et de restreindre l'expression en plein conflit étudiant. Une véritable résistance de la rue québécoise jusqu’à lors inimaginable. Les carrés rouges ont fleuri, les débats se sont multipliés, et les casseroles ont parlé haut et fort. Une vague de désobéissance spontanée, ample et pacifique, reprise largement par la presse internationale – une véritable gifle pour le gouvernement et les élites québécoises trop sûrs de leurs « bonnes gouvernances ». Le « Printemps érable » était un joyeux mélange de tout cela. Aujourd’hui, un an plus tard et à la veille du Sommet sur l’enseignement supérieur promis et promu par le gouvernement péquiste de Pauline Marois, que reste-t-il du Printemps érable ?

Un an après le début du Printemps, l’ASSÉ annonce son boycott

Un an plus tard - L'association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), après avoir lancé un ultimatum en congrès, a décidé de boycotter le Sommet, estimant qu’avant même la tenue de celui-ci, les dés étaient pipés. Il faut dire que la question de la gratuité – cheval de bataille de l’ASSÉ – a été purement et simplement effacée des débats et des orientations futures. Blandine Parchemal nous explique que le « Ministre de l'enseignement supérieur avait fait une sortie le dimanche soir précédent pour dire que la gratuité scolaire ne serait pas une option envisagée au Sommet ». Lundi, la Première ministre a rencontré en personne les porte-parole de l’ASSÉ, une rencontre de façade puisque « lors de la rencontre avec la Première ministre, cette dernière [leur] a présenté trois voies possibles: gel-indexé / indexation / hausse ». Au moment même où Blandine Parchemal lui avait demandé où était la gratuité scolaire, la ministre « a ri… ».

Dans le même temps, Pierre Fortin, économiste à l'Université du Québec à Montreal (UQAM) et conseiller pour le Parti québécois, a estimé que l'abolition des frais de scolarité entraînerait une hausse des effectif de 15 %. Soit environ 27 000 étudiants de plus ayant accès à l’éducation supérieure, reconnaissant ainsi ouvertement la corrélation entre les frais de scolarité et l'accessibilité aux études. Ce qui fait dire à Blandine Parchemal que « depuis le début, les défenseurs de la hausse s'évertuent à dire qu'il y a peu ou pas de liens entre frais de scolarité et l'accessibilité - le Parti québécois a repris cette analyse lors de la deuxième rencontre préparatoire - M. Fortin montre ici un lien évident entre les deux et confirme [leurs] analyses. Le gouvernement est donc prêt à se priver de 27 000 étudiants et ainsi favoriser l'accessibilité », soulignant donc les contradictions du gouvernement actuel qui s'érige pourtant en garant de « l'accessibilité ».

Il est peu de dire que les représentants de l’ASSÉ et de la FEUQ ont été déçus des réunions de travail préparatoires du Sommet. Blandine Parchemal déplore que « les débats de fond aient été mis de côté et que des options aient été rejetées. Lors de l'ensemble des rencontres préparatoires, [l'ASSÉ] a toujours essayé de ramener les discussions à la question des missions des universités, mais en vain ; étant obnubilé par le déficit zéro, le gouvernement étouffe les débats de fond, restant dans une logique d’utilisateurs-payeurs ». L’ASSÉ demande « une réflexion profonde sur la mission de nos universités, sur leur rôle, une remise en question d'une conception marchande de l'université ». Plus simplement dit, elle déplore que le débat « philosophique sur le droit à l’éducation » soit écarté. Du côté de la FEUQ, Martine Desjardins « est aussi très critique de la structure, de la façon dont c'est fait », mais « elle croit que c'est important d'aller débattre et surtout d'aller défendre l’intérêt des étudiants, parce que si [la FEUQ] ne le fait pas, à ce moment-là [les étudiants] laissent encore le gouvernement et les administrations universitaires décider pour [eux] ». Encore une fois « on ne pose pas les bonnes questions (...) à savoir quels sont les besoins, quels sont les objectifs du réseau universitaire québécois... »

« Narquoisement » - Annonce du sommet sur l'éducation - 8 novembre 2012 - Pascal Dumont - Le Grand Souffle
Le pessimisme des organisations étudiantes sur l’issue du sommet paraît légitime… Surtout à la lecture du programme de la « journée et demie » de débat - où il y a presque plus de « périodes de réseautage » que de « thèmes de discussion ». À noter aussi que ce dernier ne comporte aucune description, « on a un thème 1, un thème 2, un thème 3, un thème 4, sans savoir exactement ce dont il est question » confirme Martine Desjardins. La raison de cette « légèreté » du programme laisse croire que les décisions sont déjà prises et que le Sommet n’est qu'un exercice de relations publiques.

Vers une hausse des frais de scolarité de 46 $CA à 83$CA

En l’état actuel, la tournure que prennent les événements laisse présager une hausse des frais de scolarité de 46$CA à 83$CA par année, selon un complexe jeu d’indexation. En effet, Québec jongle avec plusieurs scénarios d'indexation et tranchera au lendemain du Sommet sur l'enseignement supérieur, qui se tiendra demain et après-demain. Trois projets d’indexation sont à l’étude, présentés comme des nouvelles formules du « gel ». Il s’agit donc de choisir entre une indexation en fonction de l'indice des prix à la consommation (hausse de 2% par an), une indexation en fonction de l'augmentation du coût de fonctionnement des universités (3,5%), et une indexation en fonction de la hausse du revenu disponible par habitant des ménages (3%). Pierre Duchesne, le ministre de l’Éducation supérieure, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, se référant à Pierre Fortin, penche pour la dernière option, l’indexation à 3%, qui entraînera une hausse moyenne de 70 $ca par an.

Reste que le débat technique sur les modalités de l’indexation est très loin d’être au cœur des préoccupations des associations étudiantes québécoises. Pour Blandine Parchemal, « le gouvernement part de la prémisse qu'un gel en tant que tel est une baisse (en raison de l'inflation). D'ailleurs, par exemple, le Rapport Parent préconisait le gel jusqu'à l'atteinte de la gratuité scolaire d'après cette prémisse. Un gel indexé c'est une indexation, une hausse, mais que le gouvernement ne considère pas telle quelle ». C’est pourquoi, dès à présent l'ASSÉ, rejette « la mesure [défendue par Pierre Fortin], car il s'agit tout simplement d'une hausse ». Pour Martine Desjardins, il s'agit aussi d'une hausse : « la FEUQ est contre évidemment cette proposition gouvernementale ».

Les organisations étudiantes se souviennent de l'image de Pauline Marois, en tête de cortège dans les rues québécoises pour appuyer les slogans et les revendications étudiantes au Printemps dernier. Aujourd’hui, elle coupe court au débat philosophique et laisse miroiter une indexation des frais d'études, ce qui a l’art de susciter un « sentiment de trahison parce que Marois a manifesté avec son carré rouge avec [eux] lors du printemps, parce qu'elle s'est fait élire sur des prémisses progressistes (annulation de la hausse, annulation de la loi 78, annulation de la taxe santé) et qu'elle a aujourd’hui pratiquement reculé sur tout », comme le souligne Blandine Parchemal. Pour Martine Desjardins « si le gouvernement décide d'aller de l'avant avec sa position sur l'indexation, il est "correct" de dire qu'il ne prend pas en considération les jeunes ». « Beaucoup de jeunes ont voté pour eux lors des dernières élections, parce qu'ils croyaient que ce gouvernement-là pouvait faire les choses différemment. Et si le gouvernement veut être élu à majorité […] il ne pourra ne pas faire fi du vote des jeunes ».

Martine Desjardins serait une députée «extraordinaire» (Pauline Marois)

Le défi pour Pierre Duchesne reste entier : convaincre la FEUQ et sa présidente Martine Desjardins d’accepter une formule d’indexation dont la plus légère représenterait 40 $ca ou 50 $ca de plus par an pour les étudiants. Ce qui est très loin d’être une réalité. Le ralliement ou l’apathie de la FEUQ apparaît comme le scénario idéal aux yeux du gouvernement. À une semaine du Sommet, tous les coups politiques sont permis : samedi dernier, Pauline Marois a lâché à propos de Martine Desjardins qu'elle « serait extraordinaire » comme députée, alors qu’elle était invitée à commenter les rumeurs de son entrée au Parti québécois, alimentant les doutes et les attaques envers cette dernière. Martine Desjardins « juge que l'on a cherché un peu à atteindre la crédibilité de l'organisation, en attaquant [sa] crédibilité » et tient à rappeler qu'elle n'a pas « fait de démarche dans ce sens et [qu'elle n'a] pas été approchée (…) Toutefois que la Première ministre reconnaisse [ses] qualités, c'est toujours intéressant ». Au final, ce qu'elle retient c'est « qu'encore une fois l'on cherche à faire dévier le message à une semaine du Sommet », plus politique que jamais – sans doute au détriment du fond.

La manifestation du 26 février, le début printemps ?

« À qui la rue? À nous la rue! » - Manifestation nationale du 22 mars 2012 - Pascal Dumont - Le Grand Souffle
Il y a un an se tenaient les premiers votes pour ce qui deviendrait la grève étudiante la plus importante et la plus longue de l’histoire du Québec. Le 14 février, c'était à peine 20 000 étudiants qui avaient voté la grève et qui ont commencé à débrayer. Aujourd’hui, l'ASSÉ appelle à une manifestation nationale le mardi 26 février, en marge du sommet. Trente-neuf associations étudiantes représentant près de 34 000 étudiants disposent d'un mandat de grève en vue du Sommet sur l'enseignement supérieur, et cinq représentant près de 25 000 étudiants prévoient de tenir une assemblée générale de grève. Pour Martine Desjardins « Il faut [d'abord] faire une montée de pression, il y a plusieurs débats à faire avant [la rue]. Si on vient à redemander aux étudiants d'aller en grève, ça va être suite à plusieurs tentatives de faire entendre raison au gouvernement par plusieurs autres moyens de pression […] prouver que [les organisations étudiantes ont] tous essayé avant de demander cet ultime sacrifice [aux étudiants] »

À la veille de l'ouverture du Sommet - et même si les options politiques ne sont pas les mêmes - l’ASSÉ et la FEUQ doivent partager le même sentiment et la même interrogation : « six mois de lutte pour ça ? ».


Mario Jean / printempsquebecois.com